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Togolais, Sami Tchak1 appartient à cette nouvelle génération de romanciers africains talentueux. C’est quelqu’un qui ne laisse pas indifférent, avec qui on aimerait prendre un petit verre. Discuter à bâtons rompus. Refaire le monde. Tant son verbe est juste, puissant et intransigeant. Pour Africanus, il a voulu répondre généreusement à certaines de mes questions : celles-ci parlent de Mongo Béti, de l’état de la littérature africaine, de Taubira… 

 

Vous revenez du Cameroun, où à la faveur d’une résidence d’écriture, vous avez pu vous recueillir sur la tombe de Mongo Béti. Quel est le message que nous laisse ce grand auteur qui a marqué tant de générations d’intellectuels africains ?

 

-  Un auteur ne laisse pas un message, mais sa vie et surtout son œuvre sont porteuses de sens que chacun de nous saisit en fonction de ses convictions, de sa culture, de ses choix. Pour moi, Mongo Béti est un auteur qui a été cohérent envers lui-même, toute sa vie, du moins à le juger par ce que l’on en sait. Il a refusé la compromission, a tenté de conformer sa vie à ses idées exprimées, quoi que cela lui eût coûté. La question n’est pas de savoir s’il avait eu raison ou tort sur tel point ou sur tel autre, mais s’il pouvait incarner un certain idéal intellectuel. Je réponds : oui. L’intellectuel conscient de sa responsabilité d’humain et de citoyen au cœur de son époque. Je m’inclinais sur sa tombe comme l’on fait révérence à un modèle dont je sais que je n’aurais pas forcément, à toute épreuve, l’intransigeance.

 

Quel est aujourd’hui l’état de la littérature africaine ? Comment se porte-t-elle ?

 

-  Je ne sais si un écrivain peut réellement répondre à de telles questions. La littérature africaine, la littérature qui s’écrit en français, en anglais, en portugais, en espagnol, en arabe, en berbère, en bien d’autres langues africaines, dans plus de cinquante pays ? Il faut en être spécialiste pour oser en faire un état des lieux. Je sais seulement qu’elle est variée, avec, selon l’opinion admise, les meilleures œuvres du côté des anglophones. Comment se porte cette diversité ? Je ne saurai le dire.

 

Léonora Miano (qui a droit à nos applaudissements, bien sûr) a été récompensée par le Femina. Les prix littéraires ont-ils encore un sens pour ceux et celles qui les reçoivent ?

 

-  Les prix ont toujours eu et auront toujours un sens au moins pour celles et ceux qui les reçoivent, sinon ils les auraient refusés. Léonora Miano, premier auteur africain de langue francophone à recevoir le prix Femina, est un écrivain qui a imposé, dès le premier roman, L’intérieur de la nuit, sa voix parmi les autres. Elle était déjà visible, elle le deviendra davantage avec le Femina. Et puis, chose qui a un sens : le cercle de ses lectrices et lecteurs s’élargira forcément, car les grands prix comme le Femina augmentent considérablement les ventes des titres couronnés.

 

En France, Christiane Taubira, Garde des sceaux, a été récemment traitée de « guenon » par une militante du Front national. Quelle est la réaction de l’écrivain que vous êtes, face à de tels propos racistes et nauséabonds ?

 

-  Lorsque les propos de ce genre s’entendent, comme c’est aussi le cas en Italie au sujet de la ministre d’origine congolaise, j’ai dans un premier temps, un haussement d’épaules, non d’indifférence, mais parce qu’il ne s’agit là que d’un aspect théâtral de quelque chose de plus profond, l’expression vulgaire d’un sentiment assez répandu : beaucoup de Blancs considèrent les Noirs comme des inférieurs, leur animalisation étant juste une façon de les situer sur une échelle basse dans la hiérarchie de l’humanité. Ensuite, je hoche la tête, d’impuissance, car le racisme est si ancré dans toutes les sociétés que l’indignation face aux propos d’une personne ne l’atténue pas. Ce que je crains, en revanche, c’est que la libération de tels propos ne favorise et ne banalise des actes qui vont avec. Je me dis enfin : heureusement que nous vivons dans un pays où l’Etat est encore fort, où la loi a un sens et où l’on peut punir de tels propos. Dans beaucoup de pays du monde, dont des pays africains, on meurt facilement pour sa différence réelle ou supposée, surtout lorsque le « racisme » devient une idéologie d’Etat, comme ce fut le cas au Rwanda. Ici, il s’agit encore d’expressions individuelles dont Taubira est la cible, pas seulement parce qu’elle est noire, mais aussi et surtout parce qu’elle agace par sa force de caractère et par son envergure de femme politique, par son envergure humaine tout simplement. Vous savez, on ne fait pas effondrer un mur de pierres en lui crachant dessus.

 

(1) Il est l’auteur d’Al Capone le Malien publié chez Mercure de France. 

 

Propos recueillis par Guillaume Camara

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